Bloody Monday
Il y a des jours dont on se passerait. Comme aujourd'hui. Ce n'est plus un secret, il n'y a plus de "insider information" à cacher qui pourrait me faire poursuivre pour "délit d'initié" (je vis dangereusement). C'est officiel, la boîte pour laquelle je bosse vient de "remercier" (c'est comme ça qu'on dit pudiquement quand on est professionnel) 20% de son staff... Les hautes technologies ne sont pas des entreprises à but non lucratif, ce n'est pas un scoop.
Je ne devrais pas me plaindre, je fais partie du lot qui reste. C'est "juste" qu'à Montréal, près de 40 collègues sur un total de ~80 personnes sont "partis". Ça donne des jours comme aujourd'hui. De pluie. Qui donne une bonne excuse pour verser sa larme ("Tu pleures ?", "Non c'est la pluie").
De ces journées qui me rappellent, en pire, les ambiances de fin de colos. On a vécu de bons moments ensemble, des semaines, voire des mois. On se voit tous les jours, mais on se connait assez mal finalement. Suffisament pour s'apprécier autour de la machine à café, pour savoir qui-fait-quoi et comment-va-la-famille. Pas assez pour "keep in touch" très lontemps.
Aujourd'hui, j'ai dit au revoir (j'aurais dû dire adieu...) à des gens que j'ai appréciés mais que je ne reverrais probablement plus. Curieuse sensation.
Puis j'ai entendu le "High Management" se réjouir de l'accueil de la nouvelle auprès du marché (comprendre "l'action remonte"). J'ai entendu un survivant demander, durant la séquence des questions/réponses "quand la black-out period va-t-elle se terminer?" (comprendre "quand vais-je pouvoir excercer mes stock-options?"). Un homme pratique, sans nul doute. Pour qui "le sacrifice de ses collègues" n'aura pas été vain...
Aujourd'hui, je me demande "Est-ce vraiment ça que je voulais faire quand j'étais petite ?". J'ai essayé de me rappeler très fort ce que je voulais, quand j'étais petite. Puis me suis souvenue. Me suis rappelée la réponse que je donnais, qui enrageait ou faisait rire ma mère selon les jours (ma mère, femme au foyer, 4 enfants, un mari ingénieur -oui, j'ai fait comme pôpa- souvent parti...), me suis rappelée, donc, la réponse que je donnais quand on me demandait "Tu veux faire quoi quand tu seras grande ?".
Je répondais : "Comme maman. Rien".
...
[Et de me rappeler aussi que la vérité sort de la bouche des enfants...]