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Le Blog de CL
4 septembre 2009

L’hiver en été

Toutes vacances dignes de ce nom s’accompagnent de lectures. Certaines dites « de vacances » d’ailleurs, c’est à dire des lectures légères, à l’intrigue tarabiscotée ... et vite oubliées. Et d’autres plus sérieuses aussi.

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J’ai entre autre lu Le Dernier Templier de Raymond Khoury, une quête à la Da Vinci Code, genre les Templiers pour les nuls, ces chevaliers qui protégeaient les pelerins en Terre Sainte, avec leur sempiternel trésor jamais retrouvé, le bien-fondé de leur ordre, leur chute brutale sur ordre du Vatican... Rien de révolutionnaire donc, ce qui est la moindre des choses pour un épisode moyenâgeux, mais de lecture agréable avec des rebondissements hollywoodiens aussi palpitants qu’improbables. Le genre de lecture où j’ai le sentiment que mon livre me fait son cinéma.

saga

J’ai aussi lu une fiction délire à la française. Saga de Tonino Benacquista, un auteur avec lequel on n’est jamais déçu. Du loufoque drolatique, une gang de 4 scénaristes losers réunis par une TV française pour écrire un sitcom franchouillard diffusé à 3h du mat’ histoire de respecter les quotas de création française (!). Une double saga, entre celle qu’ils écrivent et celle que l’on suit entre ces 4 personnages aussi caricaturaux qu’improbables eux aussi. Savoureux et délirant.

Maria_ChapdelainePuis j’ai lu Maria Chapdelaine un incontournable de la littérature québécoise, au vocabulaire fleuri de régionalisme québécois. Du Victor Hugo local, les misérables façon Lac St Jean et premiers colons. Un roman de terroir, qui nous plonge au coeur de la construction de la nation québécoise, au moment de la colonisation. On y suit la vie sans surprise d’une jeune fille d’une famille « d’habitants » installée dans le haut Québec afin de « faire la terre », càd défricher la forêt pour la remplacer par des terres cultivables. Le livre suit le rythme des saisons et des messes. La vie de cette pauvre fille est attendue : trouver un mari digne pour construire sa famille et avoir elle aussi son lopin de terre, gelée l’hiver, infestée de moustiques l’été et perpétuer une vie de misère, mais une vie d’ici et de ce temps-là.

On suit Maria à l’âge des prétendants. Il y a le coureur des bois, pour qui son cœur balance, mais qui finit tragiquement, pour « s’être écarté... » (s’être perdu) lors une tempête de neige, il y a l’honnête homme, un habitant comme tant d’autre, mais qui ne boit pas et travaillant, puis il y a celui qui a quitté cette terre de misère pour aller aux Etats...

Il y a quelque chose de totalement décalé, de presque surréaliste, à lire le récit de ce Québec naissant, le récit de ses hivers rudes et de ses terres glacées, sur une terrasse écrasée de soleil de Provence, en sirotant un rosé... Mais dans quelles autres conditions sinon ? Ici, en été ? Non. Devant le blanc manteau de l’hiver ? Non. Je me demande quand (et surtout dans quelles conditions) on lit ce genre de livre. Une préoccupation que je n’ai jamais eue pour aucun autre livre...

Autre aspect qui m’a marqué, l’idéologie sous-jacente dans ce livre, qui témoigne des racines du nationalisme francophone face aux anglais (les « barbares »). Le livre fini, j’ai voulu savoir quand il avait été écrit (1914-1916) et surtout, j’ai été étonnée d’apprendre que Louis Hémont, son auteur... était français, un français immigré comme moi dans ce pays, et non un québécois d’origine comme je le supposais.

Bref, mes vacances et mes lectures sont maintenant terminées.
Et je me cherche une lecture de rentrée. Des suggestions ?

------ Citations tirées de Maria Chapdelaine -----

Maria n’a rien dit mais elle a songé qu’il devait y avoir des mariages différents de celui-là, et maintenant elle en est sure. L’amitié que François Paradis a pour elle et qu’elle a pour lui, par exemple, est quelque chose d’inévitable, car il est impossible de concevoir comment les choses eussent pu se passer autrement, et cela va colorer et réchauffer à jamais la vie terne de tous les jours. Elle a toujours eu l’intuition confuse qu’il devait exister quelque chose de ce genre : quelque chose pareil à l’exaltation des messes chantées, à l’ivresse d’une belle journée ensoleillée, au grand contentement qu’apporte une aubaine ou le promesse sure d’une riche moisson.

Il lui semble que quelqu’un lui a chuchoté longtemps que le monde et la vie étaient des choses grises. La routine du travail journalier, coupée de plaisirs incomplets et passagers ; les années qui s’écoulent, monotones, la rencontre d’un jeune homme tout pareil aux autres, dont la cour patiente et gaie finit par attendrir ; le mariage, et puis une longue suite d’années presque semblables aux précédentes, dans une autre maison. Ce n’est pas bien terrible et en tout cas il faut s’y soumettre ; mais c’est uni, terne et froid comme un champ à l’automne. [...] Ce n’est pas vrai tout cela. Maria secoue la tête dans l’ombre avec un sourire inconscient d’extase, et songe que ce n’est pas vrai.

- Le temps est doux ; c’est tout juste s’il ne mouille pas. On voit que les pluies de printemps arrivent...
C’était commencer ainsi une conversation dans ce pays/

« Tout de même... c’est un pays dur, icitte. Pourquoi rester ? »
Alors une troisième voix plus grande que les autres s’éleva dans le silence : la voix du pays de Québec, qui était à moitié un chant de femme et à moitié un sermon de prêtre. [...] Nous avions apporté d’outre-mer nos prières et nos chansons : elles sont toujours les mêmes. Nous avions emporté dans nos poitrines le cœur des hommes de notre pays, vaillant et vif, aussi prompt à la pitié qu’au rire, le cœur le plus humain de tous les cœurs humains : il n’a pas changé. Nous avons marqué un pan de continent nouveau, de Gaspé à Montréal, de Saint-Jean-D’Iberville à l’Ungava, en disant : ici toutes les choses que nous avons apportées avec nous, notre culte, notre langue, nos vertus et jusqu’à nos faiblesses deviennent des choses sacrées, intangibles et qui demeureront jusqu’à la fin.

Autour de nous des étrangers sont venus, qu’il nous plaît d’appeler des barbares ; ils ont pris presque tout le pouvoir ; ils ont acquis presque tout l’argent ; mais au pays de Québec rien n’a changé. Rien ne changera, parce que nous sommes un témoignage. De nous-mêmes et de nos destinées, nous n’avons compris clairement que ce devoir-là : persister... nous maintenir... Et nous nous sommes maintenus, peut-être afin que dans plusieurs siècles encore le monde se tourne et dise : ces gens sont d’une race qui ne sait pas mourir... Nous sommes un témoignage.

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Commentaires
J
Il te faut absolument lire "Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates". Tu peux même le lire en version originale (anglais) !
L
Le Sourire Etrusque<br /> de José Luis SAMPEDRO
C
Et je confirme. Très bien.<br /> Merci pr la suggestion !
L
L'élégance du hérisson<br /> de Muriel Barbéry<br /> <br /> un régal !
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