Au feu !
Mercredi, VendrediLecture a lancé LA question littéraire qui dérange : "Avez-vous déjà jeté un livre à la poubelle ou au feu ? Lequel et pourquoi ?". Un sujet chaud qui a enflammé les lecteurs (elle était facile...) et qui a généré plus de 130 commentaires.
Force a été de constater une réaction fortement prédominante d'horreur face à une telle infamie, les spectres de l'autodafé et de la censure brandis haut et fort, ainsi que des références à Fahrenheit 451, ce livre d'anticipation écrit par Ray Bradbury qui y décrit une société totalitaire dans laquelle les livres sont non seulement interdits mais brûlés (451 étant le point d'auto-inflammation en degré fahrenheit, du papier).
Source : slate.fr
Beaucoup de véhémence dans les réponses, donc. Des JAMAIS. Catégoriques et préemptoires, qui n'autorisent aucune objection. Tout le désarroi, toute la violente désappprobation face à l'insupportable de la question étant résumés en ce simple mot, écrits en lettres majuscules. Voire agrémentés de moult points d'exclamation pour qu'on comprenne bien le message.
Des "NON MAIS ÇA VA PAS BIEN", des "OMG NON jamais !!!!", ou autre "JAMAIS JE NE FERAI UNE CHOSE PAREILLE". D'autres ont tenté d'étayer leur argumentaire avec des diktats de bienséance littéraire "Ça ne se fait pas de brûler un livre.", "On ne fait pas ça", "Jamais de la vie, je n'en dormirais plus !". L'angoisse de l'autodafé n'est pas loin ("Non, sutout pas brûlé !" , "Brûler je trouve ça effrayant, ça me ramène aux autodafés nazis").
Beaucoup s'estiment incapables de détruire ou de jeter un livre ("Je les donne, je les troque, je les vends, mais je n'aurai pas le cœur à les mettre à la poubelle ou au feu"). Ou à la limite pour des livres pas vraiment livres (i.e. le bottin ou un guide de voyage). Pour résoudre le dilemme, c'est à dire se débarasser sans détruire, il y a le plan "passe à ton voisin", le livre offert à une assoc' ou abandonné dans un endroit public (bonjour la charité littéraire et qu'on ne s'étonne pas après que le Book Crossing ne soit pas un succès si chacun abandonne la merde qu'il ne veut plus voir dans sa bibliothèque).
Pour beaucoup, le livre est même un objet sacralisé ("Sûrement pas, un livre, c'est sacré.... quel qu'il soit !"), et qui à ce titre se doit d'être protégé à tout prix. Ainsi, un des lecteurs, pour éviter tout "sacrilège", a une étagère "oubliette", une autre, au fond d'une cave, a une malle avec les "livres de la honte"... Mais surtout, SURTOUT, ne pas jeter ni détruire un livre.
Or, en réagissant ainsi, ces défenseurs du livre font acte de foi, ce qui est ironique quand on sait qu’autodafé vient justement du portugais « acto da fé » (acte de foi), du nom des cérémonies de pénitence célébrée par l’inquisition espagnole ou portugaise durant lesquelles ils exécutaient les impies, généralement par le feu. Car en estimant que tous les livres se valent, comme le dit Foglia, "on transmet l' idée détestable que tous les points de vue sont égaux. Ce qui est exactement l'envers de la culture".
Je dois admettre que je n'ai jamais brûlé de livre, mais plus par fin pratique que par manque d'envie (Ah ! l'idée des 50 nuances de jouissance à voir partir en fumée certaines infamies de papier....). Mais oui, j'en ai jeté. Je ne daignerais même pas en donner les titres, par pudeur et pour éviter de vous faire perdre votre temps. En appeler à l'autodafé, ce serait un peu comme en appeler au génocide au moindre moustique qu'on écrase. Car je jette un livre exactement comme j'écrase un moustique, parce qu'il m'a agacée, qu'il m'a fait perdre mon temps et/ou ma patience, parce qu'il a dérangé le cours simple de ma vie par une distraction bien inutile (j'ai déjà FB pour ça, merci) et si je le détruis, ce n'est pas par souci moral envers les autres, sur ce qu'ils doivent lire ou pas, mais par simple règlement de compte entre ce livre-là et moi-même.
Les bibliothèques d'ailleurs ne s'y trompent pas et détruisent des tas de livres, selon une opération très délicatement appelée "désherbage". (j'aime aussi beaucoup le terme "déselection"), sans s'en offusquer ni pousser de hauts cris. Ni crier à l'autodafé, mais bien à l'élimination d'une littérature, non pas à des fins d'ordre moral, mais à des fins d'espace.
Et cela rejoint mon point de vue selon lequel, parfois, le passage par le papier est une erreur d'orientation sur le chemin qui mène le bois au feu et qu'il faut savoir corriger le tir.
Mais vous alors ?
Avez-vous déjà jeté un livre à la poubelle ou au feu ? Lequel et pourquoi ?
PS : Et comme l'édition numérique ne saurait être en reste sur le sujet, il y a un petit rigolo qui a développé l'appli SnarkyApps pour faire son propre autodafé numérique. Mais, rassurez-vous, avec une bonne vieille morale à la clé.