L’exception qui confirme la règle
Lundi dernier, dans le bus, ma voisine de droite me hurle me dit « SI C’ÉTAIT POUR VENIR ME FAIRE CHIER ICI, Z’AURIEZ MIEUX FÊTTE DE RESTER DANS VOT’PAYS ! » . C’est par cette charmante invective que je vais vous expliquer pourquoi j’aime tant l’ouverture d’esprit de mes concitoyens québécois.
Mais reprenons depuis le début.
Nous sommes lundi soir, la rentrée ayant lieu deux jours plus tard, j’accompagne Alexane dans ce qui sera dorénavant son trajet quotidien pour aller au secondaire qu’elle commence cette année. Il est 19h dans le bus du retour. Nous sommes assises dans la rangée de sièges au fond du bus, une femme est à ma gauche, Alexane à ma droite. La femme est agitée, peut-être aussi un peu médicamentée ou alcoolisée. Il fait chaud dans le bus et les fenêtres latérales sont ouvertes. Pourtant, une autre femme, assise devant une des fenêtres de gauche, en referme une. Ma voisine vocifère de façon peu amène un « ‘STIE ! FAIT CHAUD ! ROUVRE-LA DON’ LA FENÊT’ ! ». Réponse polie de l’autre, avec un accent on ne peut plus français « J’ai du vent dans le cou et je suis malade depuis quelques jours, alors je m’excuse mais je préfère la garder fermée ».
Ma voisine s’agite encore plus. Elle marmonne des choses inaudibles, on sent que la tension monte et soudain elle se lève, tend le bras et rouvre la fenêtre du litige. La française, vaguement ironique « Voilà, tu es contente, c’est bien. Bravo ! ». Mais laisse la fenêtre ouverte. Ma voisine, dont l’agitation monte encore d’un cran, lui lance sur un ton provocateur « Pis d’abord, pourquoi t’as quitté ton pays, hein ? ».
Alors que l’ indifférence régnait jusqu’à présent face à ce micro-conflit inter-usagers, des voix s’élèvent soudain pour contrer la grossièreté qui vient d’être proférée : un homme par ici, un autre par-là, une femme quelques rangs plus loin. Et de ma part aussi « C’est bon, la fenêtre est ouverte, c’est pas la peine d’en rajouter ». Moi et mon incontournable accent français aussi donc. Ma voisine me jette le regard exaspéré de celle qui se sent entourée par l’ennemi. Je peux lire dans ses pensées un « ‘stie ! Encore une française, ciboère ! ». Et n' en pouvant visiblement plus, elle lance le fameux « SI C’ÉTAIT POUR VENIR ME FAIRE CHIER ICI, Z’AURIEZ MIEUX FÊTTE DE RESTER DANS VOT’PAYS ! »
L’autre française a haussé les épaules et ne réplique pas. Personnellement, je souris en mon for intérieur. En effet, je réalise que c’est la première fois en 14 ans d’immigration, que j’ai le droit à de tels propos et je trouve ça plutôt réjouissant en fait, plutôt bon signe, en tant que société.
Avec les autres passagers, des sourires de connivences se dessinent. Aucune hostilité ne transpire. On a bien conscience de la faiblesse de celle qui a proféré de telles fadaises. Personne ne renchérit et il en ressort plutôt une sorte d’indulgence pour cette femme qui ne va pas bien. Il y a de la commisération, dans la façon qu’on a tous de l’ignorer avec douceur je dirais.
Je dis souvent que ce que j’aime le plus au Québec, c’est l’indifférence qui y règne. Une « saine » indifférence. De bon aloi. Pas de l’indifférence dans le sens du manque d’intérêt, non. Une indifférence dans le sens « d’habitués à la différence » et qui ne la remarque et ne s’en offusque plus. L’indifférence à la différence.
Bien sûr, tout n’est pas parfait. La co-habitaion multi-culturelle engendre son lot de difficultés, dont on a souvent écho. On essaye tous (pur-laine, immigrants, de 1ère ou de Nième génération, ceux qui sont partis et sont revenus, etc…) de se positionner sur ce thème-là – les différences culturelles, ce que l’on accepte ou pas, etc... – et ce n’est pas toujours facile, pas toujours glorieux. Nous sommes pris entre accommodements de ceci, chartre de cela, traité d’Hérouxville, la profanation d’une mosquée, la venue de prédicateurs intégristes, etc…
Mais on avance, en tant que société, on avance. Plutôt dans le bon sens, si on en juge par la relativement bonne paix sociale dont on bénéficie au quotidien. Le travail se fait, pas toujours facile, rugueux forcément pour citer Lagacé et son texte sur les Abruits mais aussi de façon encadré et légiféré qui empêche les débordements inacceptables (Pour info, se moquer de « sa sale gueule de française » à quelqu’un, c’est 3500$ )
Continuons à vivre ainsi dans notre saine indifférence québécoise, dans cette culture du « vivre et laisser vivre » qui prévaut ici. Je ne souhaite rien de mieux pour cette société dans laquelle j’ai choisi de vivre. La saynète du bus en est un bon résumé : laissons l’exception (de l’intolérance) confirmer la règle (de l’intégration, de l’ouverture et de la défense de l' autre).